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s’éveillera au contact de ces squelettes tombés du mensonge dans le néant ; pas un sentiment qui réponde à ce que j’éprouve, pas une image qui réponde a ce que je vois. Vous ne réussirez pas mieux à faire de ces fouilles archaïques une création nouvelle et vivante que lord Elgin n’eût réussi à créer, sous le ciel britannique, un monument grec à l’aide des fragments de statues et de bas-reliefs que lui livraient l’Attique et l’Ionie.

Et voyez comme les systèmes excessifs sont toujours portés à s’exagérer encore, et comme dans toute révolution, même littéraire et inoffensive, il y a toujours un Danton derrière Mirabeau, un Robespierre derrière Danton, un Marat derrière Robespierre, et quelque chose encore derrière Marat. On sent que le panthéisme païen ne suffit plus à M. Leconte de Lisle ; il penche vers les théogonies indiennes. J’ai lu avec attention son poëme de Bhagavat, que ses amis m’avaient vanté. C’est très-beau comme exécution, comme couleur, comme encadrement pittoresque ; mais, en vérité, il faudrait que notre pauvre poésie moderne eût commis de bien impardonnables énormités pour mériter d’être condamnée a une aussi terrible déportation. Voici un court échantillon de ce poëme :

Par delà les lacs bleus de lotus embellis,
Que le souffle vital berce dans leurs grands lits,
Le Kaïlasa céleste, entre les monts sublimes,
Élève le plus haut ses merveilleuses cimes.
Là, sous le dôme épais des feuillages pourprés,
Parmi les kokilas et les paons diaprés,
Réside Bhagavat dont la face illumine.
Son sourire est Mâyâ, l’illusion divine ;
Sur son ventre d’azur roulent les grandes eaux ;
La charpente des monts est faite de ses os.
Les fleuves ont germé dans ses veines, sa tête