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tradition homérique. C’est probablement qu’il y a eu dans la poésie grecque, comme dans toute poésie, deux âges, l’âge primitif, celui où la religion et l’art, le dogme et le mythe, sont si étroitement unis, qu’ils se confondent dans l’esprit des peuples ; que le pontife et le poëte ne font qu’un, et que chaque poëme tombant des lèvres sacrées n’est que la vibration harmonieuse des sentiments et des croyances nationales ; — et l’âge secondaire, celui où ces deux éléments commencent à se détacher l’un de l’autre, où l’art et l’orthodoxie se gênent et s’inquiètent mutuellement, où le prêtre et l’artiste s’observent d’un air de méfiance, où les cimes du Pinde et de l’Olympe s’abaissent en s’éloignant. Or, si ce second âge existait déjà pour la Grèce, du temps d’Euripide, c’est-à-dire en pleine civilisation athénienne, en face du temple de Minerve, au milieu des statues de Phidias, croyez-vous qu’après trois mille ans, après la transformation du vieux monde par le christianisme, nous pourrons, nous, disciples de Gœthe, de Chateaubriand et de Byron, descendance maladive et inquiète de Faust et de René, être ramenés, en l’an de grâce impérial 1854, à un sentiment assez naïf, assez profond, assez primitif de la poésie païenne, pour que cette poésie soit autre chose qu’une lettre morte, éclairée d’un rayon lointain ? Savez-vous quelle sera la première condition, j’allais dire le premier châtiment, de votre tentative ? L’isolement ; — et c’est en effet, malgré une remarquable beauté de forme, le caractère dominant de vos Poëmes antiques ; ne vous y trompez pas, la poésie n’a que deux moyens de pénétrer dans les âmes, de se mêler par d’intimes affinités à l’esprit même d’une génération ou d’un siècle, d’un peuple ou d’un monde, de cesser d’être l’amusement puéril d’imaginations oisives, pour parler, par les lèvres d’un seul, la langue de tous : il faut ou qu’elle