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qui dormaient sur le ventre, la tête sous leur aile ; puis, avisant le plus jeune et le plus dodu de la troupe, elle s’en empara, malgré les cris d’angoisse du pauvre volatile.

Cette expédition nocturne inaccoutumée jeta quelque désordre et souleva quelque tapage parmi les palmipèdes ; puis, la lanterne disparue et la porte refermée, tout rentra dans le silence.

Le pauvre animal que la ménagère emportait continua seul à crier…

Tout à coup, la mère Brulé s’arrêta inquiète…

Elle avait entendu marcher derrière elle.

Puis elle se retourna, et soudain sa lanterne lui échappa des mains.

Mais elle ne poussa pas un cri, — elle ne fit pas un geste.

Elle demeura comme pétrifiée, la gorge sèche, les yeux ouverts et fixes, comme si quelque épouvantable apparition eût surgi devant elle.

Elle se trouvait face à face avec une mendiante.

Une pauvre fille, hâve et pâle, marchant nu-pieds et couverte de haillons…

Cette créature fit deux pas encore, en chancelant et comme brisée par une indicible émotion ; puis elle se mit à genoux et murmura un seul mot :

— Ma mère !

La mère Brulé jeta alors un cri, un cri suprême de joie, d’angoisse, de terreur tout à la fois.

Puis elle ouvrit ses bras et prit sa fille à bras-le-corps, l’étreignant comme si elle eût craint qu’on ne vînt encore la lui reprendre.