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que les nobles ne sont plus les maîtres. Quand il t’aurait perdue, faudrait bien qu’il t’épouse !… »

Lucrèce jeta un cri d’indignation :

« Oh ! ce serait infâme ! dit-elle. Jamais ! jamais !… »

Et, de ce moment, elle n’alla plus au château des Roches ; mais elle changeait à vue d’œil ; ses yeux étaient rouges, son teint se décolorait, elle se sentait mourir…

Quelquefois elle se sauvait de la ferme bien avant le jour, et elle allait se blottir dans une épaisse broussaille, à l’entrée des bois, dans l’espoir de voir passer M. Henri qui s’en allait à la chasse, tous les matins.

Et puis elle revenait et fondait en larmes en me disant :

« Je l’ai vu. »

Ton père haussait les épaules ; il disait que Marie était une niaise ; que si elle avait voulu il en aurait faite une châtelaine des Roches…

Un jour on fit courir le bruit dans le pays du prochain mariage de M. Henri avec la demoiselle de Saulayes, notre maîtresse.

Pour le coup, je crus que ma pauvre fille allait mourir.

Elle passa trois jours et trois nuits entre la vie et la mort ; et puis le bon Dieu et la jeunesse lui vinrent en aide. Elle se releva, et de ce moment, elle ne pleura plus.

Mais son œil me faisait peur ; on aurait dit qu’il y avait du feu dedans.

Elle ne parlait plus ; elle ne m’embrassait plus… On parlait toujours du prochain mariage de M. Henri avec la demoiselle de Saulayes.

La mère Brulé en était là de son récit lorsqu’on entendit des pas dans la cour.