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— Pauvre Jean ! dit-elle tout bas, et comme se parlant à elle-même, c’est lui qui a fait mon malheur…

— Oh ! il le sait bien, répliqua Sulpice, à preuve qu’il m’a dit un jour :

« — Si j’avais su que ton père fût dur et brutal comme il est, jamais il n’aurait eu ma sœur. »

Mais laissez-moi vous conter la chose, mère…

La semaine prochaine je m’en irai à la foire de Clamecy vendre les deux veaux que nous avons élevés, je verrai l’oncle Jean, et je lui conterai mon idée. Vous verrez que nous conviendrons de tout. Au premier train de bois qu’il conduira à Paris, il s’arrêtera à Mailly-la-Ville et se donnera une entorse, pour rire bien entendu !…

Puis il se fera apporter ici sur une civière et il me dira : « — Mon garçon, faut que tu ailles à Paris conduire mon train de bois. Autrement, je perdrais des mille et des cents. Si tu y vas, je te donnerai une belle pièce. »

Vous pensez bien, mère, continua le bon Sulpice, que mon père n’y verra que du feu ; et puis vous savez aussi qu’il ménage l’oncle Jean, rapport à l’héritage.

Il ne fera donc pas d’opposition et me laissera partir… et comme tout le temps que je serai absent, mon oncle Jean restera ici, vous serez tranquille.

Voyons, bonne mère, ne pleurez plus… Quand je devrais marcher nu-pieds le reste de mes jours, faudra que je la retrouve notre chère Lucrèce.

— Pourvu qu’elle soit encore de ce monde !… murmura la pauvre mère.

Sulpice tressaillit.