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Entr’ouvrait au soleil et la fleur et le fruit.
     Tel, en un val ombreux, sur la pente boisée,
     Un narcisse enivrant garde tard la rosée ;
     Tel, aux chaleurs d’été sur les étangs dormants,
     Au pied des vieux châteaux peuplés d’enchantements,
     Au sein des verts fossés, aux pleins bassins d’Armide,
     Nage un blanc nénuphar dans sa splendeur humide.
     J’osai voir, j’osai lire au calice entr’ouvert ;
     J’osai sentir d’abord ce parfum qui me perd ;
     Pour la première fois le rayon qui m’éclaire
     Fit jouer à mes yeux un désir de te plaire.
     Frêle atome tremblant, presque un jeu d’Ariel,
     Mais devenu bientôt monde, soleil et ciel.
     Ta beauté dans l’oubli dévoilait sa lumière.
     Un moment, au miroir, d’une main en arrière,
     Debout, tu dénouas tes cheveux rejetés :
     J’allais sortir alors, mais tu me dis : « Restez ! »
     Et, sous tes doigts pleuvant, la chevelure immense
     Exhalait jusqu’à moi des senteurs de semence[1].
     Armée ainsi du peigne, on eût dit, à te voir,
     Une jeune immortelle avec un casque noir[2].
     Telle tu m’apparus, d’un air de Desdémone,
     Ô ma belle guerrière ! et toute ta personne
     Fut divine à mes yeux. Depuis ce jour, tout bas…
     Qu’est-ce ? j’allais poursuivre les combats,
     Les désirs étouffés, les ardeurs et les larmes…

  1. Iliade, chant XIV, vers 174 et suivants, toilette de Junon N’est-ce pas ce qu’on a appelé odor della femina ?
  2. C’est à peu près le vers d’Alfred de Musset, dans les Contes d’Espagne et d’Italie.