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être de bonne foi et réussir, parce que les intérêts et les opinions étaient d’accord.

Pour briller dans l’Assemblée, il aurait fallu travailler ; or, M. de Talleyrand est essentiellement paresseux ; mais il avait je ne sais quel talent de grand seigneur pour faire travailler les autres.

Je l’ai vu à son retour d’Amérique, quand il n’avait aucune fortune, qu’il était mal vu de l’autorité, et qu’il boitait dans les rues, en allant faire sa cour d’un salon à l’autre. Il avait, malgré cela, tous les matins, quarante personnes dans son antichambre, et son lever ressemblait à celui d’un prince.

Il ne s’était jeté dans la Révolution que par intérêt. Il fut fort étonné quand il vit que le résultat de la Révolution était sa proscription, et la nécessité de fuir la France. Embarqué pour passer en Angleterre, il jeta les yeux sur les côtes qu’il venait de quitter, et il s’écria : « On ne m’y reprendra plus à faire une révolution pour les autres ! » Il a tenu parole.

Chassé d’Angleterre fort injustement, il se réfugia en Amérique, et s’y ennuya trois ans. Son compagnon d’exil et d’infortune était un autre membre de l’Assemblée constituante, un marquis de Blacous, homme d’esprit, joueur forcené, et qui s’est brûlé la cervelle de fatigue de la vie et de ses créanciers à son retour à Paris. M. de Talleyrand parcourut avec lui toutes les villes d’Amérique, appuyé sur son bras, parce qu’il ne savait pas marcher seul.

Quand il a été ministre, M. de Blacous, revenu en France, invité par lui, a demandé une place de 600 livres de rente. M. de Talleyrand ne lui a pas répondu, ne