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Que l’on commette un crime… une bonne action…
Tout seul. Mais manger seul, quelle aberration !
Voilà qui me renverse et qui me déconcerte.
Encor s’il était seul dans une île déserte !…
Mais non. Il a parents, amis et familiers.
Les gens du Vatican se comptent par milliers.
Qu’il n’éprouve pour eux que des ardeurs peu vives,
Ce n’en est pas moins là de tout trouvés convives.
 
Manger seul — voyez-vous — me semble aussi pervers
Que d’aller voir tout seul les feuilles à l’envers.
Puis, quand on mange seul, sait-on ce que l’on mange ?
Si c’est de l’ambroisie ou quelque affreux mélange !
Que dis-je ? Mange-t-on ? On bouffe, on se nourrit…
Le corps peut y trouver son compte, non l’esprit.
On me dit que ce pape a l’estomac en loque,
Et qu’il fait son repas de deux œufs à la coque.
C’est possible, après tout. Je n’en veux discuter.
Mais il pourrait toujours des amis inviter.
Leur dire : « Mes enfants, sans appétit moi-même.
Je ne vous contrains pas à faire le carême…
Mangez, buvez, voilà des poulets, des gigots…
Tapez éperdument dessus ces haricots.
Et puis, voici du vin qu’il faut mettre à l’étude ;
Il fut trente-cinq ans captif comme Latude . »
Rien ne vous donne faim comme de voir manger.
Enfin… n’est-ce donc rien, le plaisir d’héberger ?
De même, ce Léon, guetté par le conclave,
Boit également seul les bons vins de sa cave.