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Nous ouvre enfin cette route embrasée
Par où l’amour mène à son élysée.
Connoissez donc ses élans, ses transports
Le dieu des sens peut triompher alors,
S’unir à l’ame, y verser son délire,
Et rendre au cœur le charme qu’il en tire.
Mais redoutez, possesseur trop heureux,
L’excès fatal du tribut amoureux.
Qu’un salamandre en ses premiers vertiges
Tombe énervé pour conter ses prodiges :
Un sage athlète, au combat plus certain,
Retrouve au soir ses combats du matin.
Silène a bu ; mais la soif qui lui reste
Surnage encor sur sa coupe céleste.
Aimons ainsi ; l’amour doit avec soin
Laisser grossir le torrent du besoin.

Que le vainqueur dans les courses d’élide
Arrive au but du pas le plus rapide ;
Qu’un amant soit, pour remporter le prix,
Lent à la course aux tournois de Cypris.
Dans mes amours c’est vous que je préfère,
Jeux suspendus, plaisirs que je diffère :
Durant un siècle, aux portes du désir,
Éternisons la chaîne du plaisir.
Qu’un calme utile au délire succède,
Que la folie occupe l’intermède :
Mille baisers, donnés, pris, et rendus,
Cent petits noms sans ordre confondus,
Serments, soupirs, jusqu’au silence même,
Tout est divin aux bras de ce qu’on aime.
Rappelez-vous, par des récits charmants,
De vos amours l’attente et les tourments,
Les premiers jeux d’une pudeur timide,
Et cette nuit où l’on fut un alcide :
Un mot, un geste, un caprice, un désir,
Change soudain l’attaque du plaisir.
On veut, on tente une approche nouvelle :
Tel Phidias ajustoit son modèle.
L’amant heureux qui veut l’être long-temps
Fuit du soleil les rayons éclatants :
Dans un jour doux, ni trop vif, ni trop sombre,
La nudité veut pour gage un peu d’ombre.
L’âge et Lucine altèrent mille attraits ;
La beauté même a toujours ses secrets.
Du dieu du jour Vénus fut adorée,
Mais tant d’éclat effraya Cythérée ;
Et la déesse, évitant ses regards,
Pour se cacher prit les tentes de Mars.
Couple amoureux, par cette loi prudente,
Le péril cesse, et le plaisir augmente ;
Redoutez donc le coup-d’œil hasardeux
D’un examen fatal à tous les deux.
Ma voix dictoit ces maximes connues,
Quand tout-à-coup, fendant le sein des nues,
L’amour lui-même a suspendu mes sons.
Cesse, a-t-il dit, de trop vagues leçons ;
À mes plaisirs prête un autre langage ;
Fuis le précepte, enseigne par image :
Monte, et suis-moi. Son char étincelant
M’a fait voler par un sentier brûlant ;
J’ai vu Paphos, Amathonte et Cythère ;
Je l’ai suivi dans l’île du mystère.
Viens, m’a-t-il dit, entends ici ma voix ;
Écoute, écris, et peins ce que tu vois.
Eh ! De quels traits, amour, puis-je decrire
La volupté, reine de cet empire ?
Je vis son temple où brilloient tous les arts.
Le frontispice, éclatant aux regards,
Fait voir ces mots gravés pour tous les âges :
Jouir est tout : les heureux sont les sages.
Là, présidant aux plaisirs amoureux,
Déesse heureuse, elle y rend tout heureux.
Elle jouit, s’endort, ou se réveille,
Aux sons flatteurs qui charment son oreille.
De son pouvoir le trône solennel
Est une alcove ; un lit est son autel.

Près d’elle assis, dans son apothéose,
Est le bonheur, le front paré de rose.
L’espoir brillant de faveurs entouré,
La pamoison l’œil au ciel égaré,
La jeune audace, et la langueur mourante,
Des doux baisers la foule renaissante,
Le rapt vainqueur, l’attentat libertin,
Le dieu charmant des songes du matin ;
Voilà sa cour. La jeune souveraine,
D’un holocauste à toute heure certaine,
Voit jour et nuit, sur des cœurs palpitants,
Sacrifier des prêtres de vingt ans ;
Et tour à tour, dans ces jeux qu’elle anime,
Elle sourit au cri d’une victime.
Plus incertain du choix des voluptés,
Je parcourus ces jardins enchantés.
Dans le séjour d’une éternelle aurore,
Les soins de l’art, les prodiges de Flore,
Ont surpassé les chefs-d’œuvres unis
D’Alcinoüs, Lucullus, Adonis.
Du sein riant qu’étale la nature
Naît le parfum, l’émail, et la verdure :
Des bois profonds, des portiques ouverts,