Page:Poitevin - Petits poëtes français, t. 1, 1880.djvu/288

Cette page n’a pas encore été corrigée

Du dieu du thyrse elle arrête la course :
Il voit ses pleurs ; il en tarit la source,
Plaint et console une amante aux abois,
Et dans ses bras la venge mille fois.
Ainsi Bacchus, l’ennemi des alarmes,
Le dieu des ris, est vainqueur par des larmes.
Trop tôt peut-être écoutant un vainqueur,
La sœur de Phèdre abandonna son cœur.
Voilez un temps le secret de vos ames :
L’impatience attisera nos flammes.
Que les refus, plus piquants que les dons,
Rendent plus chers les tendres abandons :
Cédez toujours, mais jamais sans défense ;
En vous hâtant faites qu’on vous devance :
Retenez bien surtout cet heureux mot,
Ce doux nenni qui plaît tant à Marot.

Ô vous en qui moins de beauté, plus d’âge,
Ont de mon art exigé plus d’usage,
Parez l’autel où doit fumer l’encens ;
Touchez le cœur, mais attachez les sens :
Dérobez-nous sous des ombres discrètes
L’intérieur des premières toilettes.
Des soins prudents et des besoins secrets
L’œil du matin verra tous les apprêts.
Que la parure, habile enchanteresse,
Sous ce qui plaît dérobe ce qui blesse.
Qu’un sein trop humble, à sa place arrêté,
Offre un amour de son frère écarté.
L’art des atours compose en apparence
Un port brillant dans sa juste élégance :
Il donne, il cache, il place l’embonpoint,
En modelant les formes qu’on n’a point.
Voyez l’iris qui colore un nuage :
Usez ainsi mais tempérez l’usage
D’un incarnat à Cythère apprêté,
Ame du teint, pastel de la beauté.
Dans une glace, école du sourire,
De vos attraits établissez l’empire ;
Et, de l’art seul tenant ce qu’il leur faut,
Faites rougir la nature en défaut.
Lorsqu’on a fait la conquête d’une ame,
L’art plus savant est de nourrir sa flamme.
Je sais qu’amour, en ses jeux inconstants,
Est, pour s’enfuir, ailé comme le temps ;
Même à jouir s’use la jouissance.
De deux amants, l’un plutôt en balance
Perd l’équilibre, et, lassé d’être heureux,
Pour trop brûler, n’a bientôt plus de feux.
Suivez de l’œil ces jeunes hirondelles
Qui fendent l’air en se touchant des ailes ;
Des deux oiseaux partis du même essor
L’un est tombé quand l’autre vole encor.
Éveille-toi, daigne encor me connoître,
Peuple amoureux : peux-tu cesser de l’être ?
Le péril suit un amant jusqu’au port ;
S’il s’y repose, il sommeille, et s’endort.
Pour l’exciter, cherchons-lui des obstacles :
Par eux l’amour opère ses miracles.
Heureux qui craint les chaînes d’un époux,
Les yeux d’un père, et les pas d’un jaloux !
L’amant glacé qui jouit sans contrainte
Voit sans plaisir ce qu’il obtient sans crainte ;
Et le stylet, l’escalade et la nuit
Prêtent un charme aux beautés que l’on suit.
L’envie, Argus, et Junon irritée,
Rendent plus belle Io persécutée.
Le tête-à-tête, au début si charmant,
Passe à la fin du délire au tourment.
On s’est tout dit, et l’amante s’accuse
Près de l’amant bégayant une excuse.
D’un peu d’absence inquiétez l’amour,
Et vendez-lui le plaisir du retour.
Craignez des nuits la langueur redoutable :
Il n’est qu’un temps pour la trouver aimable.
Quand du plaisir le trait est émoussé,
Plus d’un athlète, avant l’aube glacé,
Attend le jour, se morfond et se gêne :
Il faut un dieu pour une nuit d’Alcmène.
Par un utile et dangereux secours,
La jalousie aide encore aux amours.
Mais n’aimons pas comme on dit qu’on déteste ;
Fuyez ce monstre à qui tout est funeste,
Qui, n’écoutant qu’un soupçon orageux,
Se plaint des ris, s’effarouche des jeux.
Le nom d’amour est du fiel en sa bouche ;
Sa main flétrit les roses qu’elle touche ;
Tout l’empoisonne ; et, malgré sa noirceur,
Du tendre amour elle se dit la sœur.
Ah ! Connoissez une autre jalousie :
D’amour, d’espoir, et de crainte saisie,
Les yeux en pleurs et les cheveux épars,
Levant au ciel le feu de ses regards,
Sans invoquer Médée et sa magie,
Sa douce voix soupire une élégie ;
Le prompt oubli succède à son erreur ;
Tendre à l’excès, elle aime avec fureur,
Soupçonne, éclate, accuse, mais pardonne,
Et rend heureux Pâris aux pieds d’Oenone.
Telle n’est point la tempête des airs,
Lorsque Junon, parcourant l’univers,
Met tout en feu pour un époux volage :
Mais telle iris, plus calme en son nuage,