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Si vous craignez les renoms éclatants,
Défiez-vous des demi-dieux du temps,
Qui, l’une à l’autre enchaînant vos images,
Vont publier vos crédules hommages ;
Qui, décelant leur culte et vos autels,
Ne sont heureux qu’autant qu’on les croit tels.
La renommée et ses cent voix perfides
Sont les échos de leurs crimes rapides.
Tel un éclair qui brille et qui s’enfuit
Laisse après lui le tonnerre et le bruit.
Fuyez des grands l’appareil infidèle :
L’éclat d’un nom coûta cher à Sémèle.
D’autres sauront, à vos fers attachés,
S’ensevelir dans des plaisirs cachés.
Pour en tracer une image sensible,
L’amour constant est comme un lac paisible,
Profond, égal, toujours beau, toujours clair,
Inaccessible aux tempêtes de l’air,
Qui, sans chercher le tribut d’autres ondes,
Se régénère en ses sources fécondes.
L’amour volage est semblable au torrent ;
Il tombe, il roule, il fuit en murmurant :
Tari bientôt dans sa source égarée,
Né d’un orage, il en a la durée.
Suivez les flots dont le calme est certain :
D’un heureux choix dépend votre destin.
Par son respect l’amour vrai se déclare ;
C’est lui qui craint, qui se fuit, qui s’égare,
Qui d’un regard fait son suprême bien,
Désire tout, prétend peu, n’ose rien ;
Qui sur les fleurs fait marcher la constance,
Voit tout en beau, met tout en jouissance ;
Dans les revers armé de plus de feux,
Dans les faveurs empressé quoiqu’heureux.

Il est encor de ces amants fidèles
Qui de l’amour ont les feux, non les ailes,
Qui dans ce siècle, âge des inconstants,
Gardent les mœurs de l’enfance des temps.
Pour dérober une flamme inconnue,
L’amant d’Io la couvrit d’une nue.
On vit Alphée, humble dans ses roseaux,
Cacher le cours et le lit de ses eaux,
Et, s’écoulant dans sa route confuse,
Se perdre au sein de la tendre Aréthuse.
Ces vrais amants n’habitent pas la cour.
L’ambitieux est-il fait pour l’amour ?
Là, sous son dais, la fortune jalouse
Veut tout entier un amant qu’elle épouse :
En soupirant moins d’amour que d’ennui,
Séjan vous trompe, et n’adore que lui.
Pour affermir des liens plus durables,
Cherchez en nous des qualités aimables.
Nyrée est beau : j’y veux encore un point,
C’est de l’esprit ; car les sots n’aiment point
Appesanti du poids de la matière,
Que fait aux bras d’une amante grossière
Ce vil Crésus dont l’or seul éblouit ?
Et jouit-on sans penser qu’on jouit ?
De quelque effort que les sens nous secondent,
Les nuits d’amour d’interrègnes abondent :
L’esprit supplée à des feux languissants ;
Et son travail fait le repos des sens.
De nos plaisirs compagnon plus solide,
Le sentiment veut être aussi leur guide ;
Mais secourus par l’esprit et par lui
Craignez encor de retrouver l’ennui.
Fuyez surtout l’amour triste et bizarre
D’un soupirant pâmé sur sa guitare,
Gravement fou, sottement circonspect,
Qui, promenant l’ennui de son respect,
Dit aux échos les tourments qu’il essuie,
Dupe et martyr des beautés qu’il ennuie.
Ah ! Que plutôt j’élirois, à ce prix,
Le plus changeant des enfants de Cypris !
Craignez aussi le platonique hommage
D’un sot qui fait de Cupidon un sage,
Et l’esprit pur de l’insipide amant
Près d’une belle assis nonchalamment,
Qui, de l’amour, docteur pâle et frivole,
Fait un système, et du lit une école ;
Qui, sans chaleur, dit qu’il brûle toujours,
N’admet que l’ame en ses chastes amours,
Qu’un feu subtil, impuissant météore ;
Mais qui distingue, argumente, pérore,
De son néant vante en lui les appas,
Et blâme en moi le pouvoir qu’il n’a pas.
Loin, loin de nous la doctrine glacée
Qui fait l’amour enfant de la pensée ;
L’amour brûlant, avide, impétueux,
Moteur actif des sens tumultueux,
Nourri d’espoir, accru par les délices,
Fécond en vœux, prodigue en sacrifices !
Qu’il brille encor des feux du sentiment ;
Que l’ame ait part à cet embrasement ;
Que l’esprit même, épurant la matière,
Aux voluptés prête enfin sa lumière.
Mais, je l’ai dit, c’est un dieu qui m’instruit ;
Ôtez les sens, tout amour est détruit.
Je vous atteste, ô beautés que j’enseigne,
De cet amour, oui, vous suivez l’enseigne.