Page:Poisson - Recherches sur la probabilité des jugements en matière criminelle et en matière civile, 1837.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne lieu cependant à une difficulté dont on s’est autrefois beaucoup occupé.

Deux personnes A et B jouent à croix et pile ; les conditions du jeu sont : 1o. que la partie se terminera lorsque croix arrivera ; 2o. que B donnera à A deux francs si croix arrive au premier coup, quatre francs s’il arrive au deuxième coup,… et généralement francs si croix arrive au ième coup ; 3o. que la partie sera nulle si croix n’arrive pas dans les premiers coups, limitation sans laquelle la partie pourrait être interminable. On suppose que la pièce n’a aucune tendance à retomber plutôt sur une face que sur l’autre, de sorte qu’à chaque coup, la chance d’amener croix soit comme celle d’amener pile. Il s’ensuit que sera la probabilité que croix arrivera au ième coup sans qu’il ait paru auparavant ; car, pour cela, il faudra qu’on amène pile fois de suite, ce qui a pour probabilité ; et que l’on amène croix au coup suivant, autre événement dont la probabilité est . Par conséquent, la probabilité que croix arrivera au ième coup pour la première fois, aura le produit de et de , ou pour valeur. Dans ce cas, A recevra francs ; ce qui donne un franc pour la valeur correspondante de son espérance mathématique ; et comme elle est la même pour chacun des coups dont la partie peut se composer, il s’ensuit que la valeur entière de l’espérance mathématique de A sera un franc répété fois. Pour que le jeu fût égal, A devrait donc donner francs à B, c’est-à-dire mille francs, un million de francs, si la partie pouvait durer jusqu’à mille coups, un million de coups, et même une somme infinie, si elle pouvait se prolonger indéfiniment. Cependant, il n’y a personne qui exposât une somme un peu considérable, mille francs par exemple, à un pareil jeu. Ici la règle de l’espérance mathématique paraît donc en défaut ; et c’est pour lever la difficulté que nous signalons, que l’on a imaginé la règle de l’espérance morale et sa mesure. Mais on doit remarquer que cette difficulté tient à ce que, dans les conditions du jeu, on a fait abstraction de la possibilité pour B, de payer toutes les sommes que les chances du jeu pourront valoir à A.