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taient pas sortis depuis long-temps, d’autres choisissaient, au contraire, ceux qui sortaient le plus souvent. Ces deux préférences étaient également mal fondées : quoique, par exemple, il y eût une probabilité très approchante de la certitude et égale à , ou à peu près 0,997, qu’un numéro déterminé sortirait au moins une fois dans 100 tirages successifs ; si cependant, il ne fût pas sorti dans les 88 premiers, la probabilité de sa sortie dans les 12 derniers aurait toujours été à peu près 1/2, comme pour tout autre numéro déterminé. Quant aux numéros dont la sortie avait été plus fréquente que celle des autres, cette circonstance ne devait être considérée que comme un effet du hasard, compatible avec l’égalité évidente de chance de tous les numéros à chaque tirage. À tous les jeux de hasard où les chances égales ou inégales sont connues d’une manière certaine, les événements passés n’ont aucune influence sur la probabilité des événements futurs, et toutes les combinaisons que les joueurs imaginent ne peuvent augmenter le gain ni diminuer la perte, qui résultent de ces chances d’après la règle du numéro précédent.

Dans les jeux publics de Paris, l’avantage du banquier à chaque coup est peu considérable : au jeu de trente-et-quarante par exemple, il est un peu au-dessous de onze millièmes de chaque mise[1] ; mais à raison de la rapidité de ces jeux et du grand nombre de coups qui se jouent en peu d’heures, il en résulte pour le banquier des bénéfices assurés, à peu près constants chaque année, et sur lesquels il peut payer annuellement cinq à six millions à l’administration publique, qui lui en concède le monopole. Ils sont encore plus préjudiciables que la loterie ne pouvait l’être ; car l’argent qu’on y joue dans la capitale seulement s’élève chaque année à plusieurs centaines de millions, et surpasse de beaucoup celui que l’on mettait à la loterie dans la France entière. Ce n’est pas ici le lieu de discuter les raisons que l’on a coutume de donner pour la conservation des jeux publics ; je n’ai jamais pu les trouver bonnes ; et il devrait suffire que ces jeux fussent la cause de beaucoup de

  1. Voyez sur les chances de ce jeu, le mémoire que j’ai inséré dans le journal de M. Gergonne ; tome XVI, no 6 ; décembre 1825.