Page:Poisson - Recherches sur la probabilité des jugements en matière criminelle et en matière civile, 1837.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’a point échappé à des personnes qui voulaient bien écouter avec intérêt les résultats de mon travail.

Un accusé peut être condamné, ou parce qu’il est coupable, et que les juges ne se trompent pas, ou parce qu’il est innocent, et que les juges se trompent. Le rapport du nombre des condamnations à celui des accusés ne varie pas lorsque la probabilité, avant le jugement, que l’accusé soit coupable, et celle que chaque juge ne se trompe pas dans son vote, se changent l’une et l’autre dans leurs compléments à l’unité. Il demeure le même, par exemple, quand ces deux probabilités sont 2/3 et 3/4, et quand elles ne sont que 1/3 et 1/4. Il a aussi une même valeur, lorsqu’elles diffèrent toutes deux très peu de la certitude, ou de l’unité, et lorsqu’elles sont toutes deux presque nulles ; et dans ces cas extrêmes, le nombre des condamnations s’écarte très peu du nombre des accusations. Par cette raison, les équations qu’il faut résoudre pour déterminer ces probabilités sont toujours susceptibles de deux racines réelles et inverses l’une de l’autre. Toutefois, chacune de ces deux solutions a un caractère qui la distingue : en adoptant l’une, la probabilité qu’un condamné est coupable, sera plus grande que celle de son innocence ; le contraire aura lieu en adoptant l’autre. Dans les cas ordinaires, c’est donc la première solution qu’on doit choisir ; car il ne serait pas raisonnable de supposer que les tribunaux fussent généralement injustes, ou qu’ils jugeassent le plus souvent au rebours du bon sens. Mais il n’en est plus de même quand les jugements sont prononcés sous l’influence des passions ; ce n’est plus la racine raisonnable des équations, c’est l’autre solution qu’il faut employer, et qui donne aux condamnations une si grande probabilité d’injustice. La grande proportion des jugements de condamnation, prononcés par les tribunaux révolutionnaires, n’est donc pas une preuve suffisante de la culpabilité légale des accusés ; et nous ne pouvons nullement conclure de cette proportion, celle des condamnés qui étaient coupables ou non coupables, selon les lois de cette époque, que ces tribunaux étaient chargés d’appliquer. Il faut toujours faire attention que, dans cette théorie, l’iniquité du juge et la passion de l’accusateur sont considérées comme des chances d’erreurs, aussi bien qu’une trop grande pitié ou un excès d’indulgence, et que le calcul est établi sur le résultat des votes, quels que soient les motifs qui les ont dictés.