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meurent constantes pendant la série des épreuves, ainsi que le suppose essentiellement la démonstration de l’auteur, qu’il médita, comme on sait, pendant vingt années. Il était donc insuffisant dans les questions relatives à la répétition des choses morales ou des phénomènes physiques, qui ont, en général, des chances continuellement variables, le plus souvent sans aucune régularité ; et pour y suppléer, il a fallu envisager la question d’une manière plus générale et plus complète que l’état de l’analyse mathématique ne le permettait à l’époque de Jacques Bernouilli. Lorsque l’on considère cette constance des rapports qui s’établit et se maintient entre les nombres de fois qu’un événement arrive et les nombres très grands des épreuves, malgré les variations de la chance de cet événement pendant leur durée, on est tenté d’attribuer cette régularité si remarquable à l’action de quelque cause occulte, sans cesse agissante ; mais la théorie des probabilités fait voir que la constance de ces rapports est l’état naturel des choses, dans l’ordre physique et dans l’ordre moral, qui se maintient de lui-même sans le secours d’aucune cause étrangère, et qui, au contraire, ne pourrait être empêché ou troublé que par l’intervention d’une semblable cause.

Le gouvernement a publié les Comptes généraux de l’administration de la justice criminelle, pour les neuf années écoulées depuis 1825 jusqu’à 1833 ; c’est dans ce recueil authentique, et présenté avec un soin remarquable, que j’ai puisé tous les documents dont j’ai fait usage. Le nombre des procès jugés annuellement par les cours d’assises du royaume a été d’à peu près 5 000, et celui des accusés d’environ 7 000. Depuis 1825 jusqu’à 1830 inclusivement, la législation criminelle n’a pas changé, et les condamnations par les jurys ont été prononcées à la majorité d’au moins sept voix contre cinq, sauf l’intervention de la cour dans les cas de cette plus petite majorité. En 1831, cette intervention a été supprimée, et l’on a exigé la majorité d’au moins huit voix contre quatre, ce qui a dû rendre les acquittements plus fréquents. Le rapport de leur nombre à celui des accusés, pendant les six premières années, s’est trouvé égal à 0,39, en négligeant les millièmes : une seule année il s’est abaissé à 0,38, et une autre année, il s’est élevé à 0,40 ; d’où il résulte que dans cette période, il n’a varié d’une année à une autre, que d’un centième de