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verra aussi, d’une manière frappante, l’influence des causes générales sur le rapport dont il s’agit, qui a varié toutes les fois que la législation a changé.

On ne peut donc pas douter que la loi des grands nombres ne convienne aux choses morales qui dépendent de la volonté de l’homme, de ses intérêts, de ses lumières et de ses passions, comme à celles de l’ordre physique. Et, en effet, il ne s’agit point ici de la nature des causes, mais bien de la variation de leurs effets isolés et des nombres de cas nécessaires pour que les irrégularités des faits observés se balancent dans les résultats moyens. La grandeur de ces nombres ne saurait être assignée d’avance ; elle sera différente dans les diverses questions, et, comme on l’a dit plus haut, d’autant plus considérable, en général, que ces irrégularités auront plus d’amplitude. Mais à cet égard, on ne doit pas croire que les effets de la volonté spontanée, de l’aveuglement des passions, du défaut de lumières, varient sur une plus grande échelle que la vie humaine, depuis l’enfant qui meurt en naissant jusqu’à celui qui deviendra centenaire ; qu’ils soient plus difficiles à prévoir que les circonstances qui feront périr un vaisseau dans un long voyage ; plus capricieux que le sort qui amène une carte ou un dé. Ce ne sont pas les idées que nous attachons à ces effets et à leurs causes, mais bien le calcul et l’observation qui peuvent seuls fixer les limites probables de leurs variations, dans de très grands nombres d’épreuves.

De ces exemples de toutes natures, il résulte que la loi universelle des grands nombres est déjà pour nous un fait général et incontestable, résultant d’expériences qui ne se démentent jamais. Cette loi étant d’ailleurs la base de toutes les applications du calcul des probabilités, on conçoit maintenant leur indépendance de la nature des questions, et leur parfaite similitude, soit qu’il s’agisse de choses physiques ou de choses morales, pourvu que les données spéciales que le calcul exige, dans chaque problème, nous soient fournies par l’observation. Mais, vu son importance, il était nécessaire de la démontrer directement ; c’est ce que j’ai tâché de faire ; et je crois y être enfin parvenu, comme on le verra dans la suite de cet ouvrage. Le théorème de Jacques Bernouilli, cité plus haut, coïncide avec cette loi des grands nombres, dans le cas particulier où les chances des événements de-