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difficile d’en citer d’autres qui appartiennent aux choses de l’ordre moral. Parmi ceux-ci, nous pouvons indiquer les produits constants d’impôts indirects, sinon annuellement, du moins pendant une période de peu d’années consécutives. Tel est, entre autres, le droit de greffe, porté dans les recettes annuelles de l’État pour une somme à peu près constante, et qui dépend néanmoins du nombre et de l’importance des procès, c’est-à-dire des intérêts opposés et variables des citoyens, et de leur facilité plus ou moins grande à plaider. Tels sont aussi les produits de la loterie de France, avant qu’elle fût heureusement supprimée, et des jeux de Paris, dont la suppression n’est pas moins désirable. Ces jeux présentent des rapports constants de deux natures distinctes : d’une part, la somme des mises est à peu près la même chaque année, ou pendant chaque période d’un petit nombre d’années ; d’un autre côté, le gain du banquier est sensiblement proportionnel à cette somme. Or, cette proportionnalité est un effet naturel du hasard qui amène les coups favorables au banquier, dans une proportion constante et calculable à priori d’après les règles du jeu ; mais la constance de la somme des mises est un fait qui appartient à l’ordre moral, puisque les sommes jouées dépendent du nombre et de la volonté des joueurs. Il faut bien que ces deux éléments, la proportionnalité du gain et la somme des mises, soient peu variables, sans quoi le fermier des jeux ne pourrait pas évaluer d’avance le prix annuel qu’il s’engage à payer au Gouvernement, d’après les bénéfices que l’on a pu faire dans un bail précédent. L’exposition que je ferai tout à l’heure des données de l’expérience sur lesquelles je me suis appuyé dans la question de la probabilité des jugements, fournira encore des exemples péremptoires de la loi des grands nombres, observée dans les choses de l’ordre moral. On y verra que sous l’empire d’une même législation, le rapport du nombre des condamnations à celui des accusés, dans toute la France, a très peu varié d’une année à une autre ; en sorte qu’il a suffi de considérer environ 7 000 cas, c’est-à-dire le nombre de jugements prononcés chaque année par les jurys, pour que ce rapport parvînt sensiblement à la permanence ; tandis que dans d’autres questions, et par exemple dans celle de la vie moyenne que je viens de citer, un pareil nombre serait bien loin d’être suffisant pour conduire à un résultat constant. On y