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nombre de grâces complètes qui ont été accordées ; et par le nombre, aussi très petit, de cas où les cours d’assises ont usé du droit que la loi leur donne, de casser la condamnation prononcée par un jury, et de renvoyer le prévenu devant d’autres jurés, lorsqu’elles jugent que le débat oral a détruit l’accusation, et que le condamné n’est pas coupable.

Les résultats relatifs aux chances d’erreur des jugements criminels, auxquels Laplace est parvenu, ont paru exorbitants, et en désaccord avec les idées générales ; ce qui serait contraire aux paroles de l’auteur, que la théorie des probabilités n’est, au fond, que le bon sens réduit en calcul. Ils ont été mal interprétés ; et l’on s’est trop hâté d’en conclure que l’analyse mathématique n’est point applicable à ce genre de questions, ni généralement aux choses qu’on appelle morales. C’est un préjugé que j’ai vu à regret partagé par de bons esprits ; et, pour le détruire, je crois utile de rappeler ici quelques considérations générales, qui seront propres d’ailleurs, par la comparaison avec d’autres questions où personne ne conteste que l’emploi du calcul soit légitime et nécessaire, à bien faire connaître l’objet du problème que je me suis proposé spécialement dans cet ouvrage.

Les choses de toutes natures sont soumises à une loi universelle qu’on peut appeler la loi des grands nombres. Elle consiste en ce que, si l’on observe des nombres très considérables d’événements d’une même nature, dépendants de causes constantes et de causes qui varient irrégulièrement, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, c’est-à-dire sans que leur variation soit progressive dans aucun sens déterminé, on trouvera, entre ces nombres, des rapports à très peu près constants. Pour chaque nature de choses, ces rapports auront une valeur spéciale dont il s’écarteront de moins en moins, à mesure que la série des événements observés augmentera davantage, et qu’ils atteindraient rigoureusement s’il était possible de prolonger cette série à l’infini. Selon que les amplitudes de variations des causes irrégulières seront plus ou moins grandes, il faudra des nombres aussi plus ou moins grands d’événements pour que leurs rapports parviennent sensiblement à la permanence ; l’observation même fera connaître, dans chaque question, si la série des expériences a été suffisamment prolongée ; et d’après les nombres des faits constatés, et la grandeur des écarts