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en France, à cette majorité, n’est que 7/100 du nombre total des accusés ; le danger pour un accuse d’être mal jugé à la majorité dont il s’agit, aurait donc pour mesure le produit des deux fractions 2/7 et 7/100, ou 1/50 ; car, dans toutes les choses éventuelles, la crainte d’une perte ou l’espoir d’un gain a pour expression le produit de la valeur de la chose que l’on craint ou que l’on espère, multipliée par la probabilité qu’elle aura lieu. Cette considération réduirait déjà à un sur cinquante la proportion des accusés non coupables qui seraient condamnés annuellement à la plus petite majorité des jurys ; ce serait sans doute encore beaucoup trop, si tous ces accusés étaient réellement innocents ; mais c’est ici qu’il convient d’expliquer le sens véritable que l’on doit attacher, dans cette théorie, aux mots coupable et innocent, et que Laplace et Condorcet leur ont effectivement attribué.

On ne saurait jamais arriver à la preuve mathématique de la culpabilité d’un accusé ; son aveu même ne peut être regardé que comme une probabilité très approchante de la certitude ; le juré le plus éclairé et le plus humain ne prononce donc une condamnation que sur une forte probabilité, souvent moindre, néanmoins, que celle qui résulterait de l’aveu du coupable. Il y a entre lui et le juge en matière civile, une différence essentielle : lorsqu’un juge, après l’examen approfondi d’un procès, n’a pu reconnaître, vu la difficulté de la question, qu’une faible probabilité en faveur de l’une des deux parties, cela suffit pour qu’il condamne la partie adverse ; au lieu qu’un juré ne doit prononcer un vote de condamnation que quand, à ses jeux, la probabilité que l’accusé est coupable atteint une certaine limite, et surpasse de beaucoup la probabilité de son innocence. Puisque toute chance d’erreur ne peut être évitée, quoi qu’on fasse, dans les jugements criminels, à quoi doit-elle être réduite, pour assurer à l’innocence la plus grande garantie possible ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre d’une manière générale. Selon Condorcet, la chance d’être condamné injustement pourrait être équivalente à celle d’un danger que nous jugeons assez petite pour ne pas même chercher à nous y soustraire dans les habitudes de la vie ; car, dit-il, la société a bien le droit, pour sa sûreté, d’exposer un de ses membres à un danger dont la chance lui est, pour ainsi dire, indifférente ; mais cette considération est beaucoup trop subtile dans une question aussi grave. Laplace donne une