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suppose que la probabilité qu’un juré ne se trompera pas est susceptible de tous les degrés également possibles, depuis la certitude, représentée par l’unité, jusqu’à l’indifférence, qui répond dans le calcul à la fraction 1/2, et se rapporte à une égale chance d’erreur et de vérité. L’illustre géomètre fonde son hypothèse sur ce que l’opinion d’un juré a sans doute plus de tendance vers la vérité que vers l’erreur ; ce qu’on doit admettre effectivement en général. Mais il existe une infinité de lois différentes de probabilité des erreurs qui satisfont à cette condition, sans qu’on soit obligé de supposer que la chance qu’un juré ne se trompera pas, ne puisse jamais descendre au-dessous de 1/2, et qu’au-dessus de cette limite, toutes ses valeurs soient également possibles. La supposition particulière de Laplace ne saurait donc être justifiée à priori. Soit à raison de cette hypothèse, soit à cause de leurs conséquences, qui m’ont paru inadmissibles, les solutions du problème de la probabilité des jugements que l’on trouve dans le Traité des probabilités[1] et dans le premier supplément à ce grand ouvrage[2], et qui diffèrent l’une de l’autre, ont toujours laissé beaucoup de doutes dans mon esprit. C’est à l’illustre auteur que je les aurais soumis, si je me fusse occupé de ce problème pendant sa vie : l’autorité de son nom m’en eût fait un devoir, que son amitié, dont je me glorifierai toujours, m’aurait rendu facile à remplir. On concevra sans peine que ce n’est qu’après de longues réflexions, que je me suis décidé à envisager la question sous un autre point de vue ; et l’on me permettra d’exposer, avant d’aller plus loin, les principales raisons qui m’ont déterminé à abandonner la dernière solution à laquelle Laplace s’était arrêté, et dont il avait inséré les résultats numériques dans l’Essai philosophique sur les Probabilités.

La formule de Laplace, pour exprimer la probabilité de l’erreur d’un jugement, ne dépend que de la majorité à laquelle il a été prononcé, et du nombre total des juges ; elle ne renferme rien qui soit relatif à leurs connaissances plus ou moins étendues dans la matière qui leur a été soumise. Il s’ensuivrait donc que la probabilité de l’erreur d’une décision rendue par un jury, à la majorité de sept voix contre cinq, par exemple, serait la même, quelle que fût la classe de per-

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