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C’est par un semblable procédé que l’on pourrait constater, ainsi que Laplace l’a proposé[1], l’existence ou la non-existence de certaines causes occultes, qui ne sont pas absolument impossibles à priori, et n’ont pas, non plus, le pouvoir de produire nécessairement les phénomènes auxquels elles se rapportent. Pour cela, il faudrait de longues séries d’épreuves, en écartant, autant qu’il serait possible, l’influence des causes accidentelles, et tenant compte, avec exactitude, du nombre de fois qu’un phénomène a été observé et du nombre de fois qu’il n’a pas eu lieu : si le rapport du premier de ces nombres au second surpassait notablement l’unité, l’existence d’une cause quelconque et la chance qu’elle donne à la production de ce phénomène auraient une très grande probabilité.

Si deux joueurs A et B ont joué l’un contre l’autre un très grand nombre de parties, que A en ait gagné un nombre , et que le rapport excède 1/2, d’une fraction qui ne soit pas très petite ; l’existence d’une cause favorable à A peut être regardée comme à peu près certaine. Lorsqu’aucun des deux joueurs n’a fait un avantage à l’autre, cette cause est la supériorité de A sur B, dont le rapport donne, pour ainsi dire, la mesure. À un jeu de cartes, au piquet par exemple, le résultat de chaque partie ne peut dépendre que de la différence d’habileté des deux joueurs et de la distribution des cartes entre eux. Si aucun des deux n’a triché, cette distribution est l’effet du hasard ; elle peut influer sur la proportion des nombres de parties gagnées par les deux joueurs, quand ces nombres sont peu considérables : c’est ce qu’on peut appeler le bonheur ou le malheur, pourvu que l’on n’attache pas l’idée de l’un ou de l’autre aux personnes qui jouent ; car il serait absurde de supposer qu’il y eût un rapport quelconque entre ces personnes et les cartes que le seul hasard leur a distribuées : à chaque coup, celles qui sont échues à l’un des joueurs auraient pu également échoir à l’autre. Mais dans une série de parties suffisamment prolongée, il n’y a plus que la différence d’habileté des joueurs qui puisse

  1. Essai philosophique sur les probabilités, page 133.