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Fier de mon rôle obscur, de ma tâche jaloux,
J’ai baptisé l’enfant, j’ai béni les époux,
J’ai, fardeau le plus lourd de ma rude carrière,
Conduit bien des défunts du chaume au cimetière,
Silencieux enclos que la mort a peuplé
Et que, les yeux en pleurs, tant de fois j’ai foulé !
Puis (la vie est ainsi) dans les jours de liesse
J’ai de mes paroissiens partagé l’allégresse
Et, l’oreille tendue à leur joie, à leurs pleurs,
J’ai ri de leur gaîté, pleuré de leurs douleurs.
Tous les ans, sans manquer, je faisais ma visite
D’un bout de la paroisse à l’autre. À chaque gîte
Je frappais. On m’ouvrait, empressés et joyeux.
L’émotion des cœurs mettait des pleurs aux yeux.
Et le père, et la mère, et toute la famille
— Et vous savez, monsieur, qu’au pays ça fourmille —
Tous de se mettre en cercle et de me souhaiter
Longue vie et bonheur, et de me raconter
Leurs chagrins, car ces cœurs si naïfs, si rustiques