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Chère sœur, c’est toi qui, d’une main imprudente,
M’enlevant ce cheveu, de ma jeunesse ardente
Brisas l’illusion. C’est toi, quand souriant
À mon œuvre ébauchée, et sans doute oubliant
Que j’écoute, rêveur, le vol des nobles muses,
À caresser mon front quelque fois tu t’amuses.
C’est toi qui sans savoir le mal que tu causais,
Tenant ce fil d’argent dans tes doigts, me disais :
« Ô frère, j’ai trouvé sur ton grand front qui ride
« Ce cheveu blanc de ta pensée encore humide ! »
Je t’en prie, ô ma sœur, quand parmi mes cheveux
D’autres grisonneront ainsi que lui, je veux
Que ton geste discret, que ta lèvre muette
N’éveillent plus ainsi les regrets du poète.
Oh ! laisse les blanchir et laisse les tomber
D’eux-mêmes, ces cheveux ; tâche de dérober
À mon regard ému la marche sûre et lente
Du travail et du temps sur ma tempe brûlante !