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le lieu de réunion séculaire où les cultivateurs viennent offrir leurs produits aux acheteurs étrangers à la localité, lesquels les disperseront dans la France entière, plus particulièrement à Paris, voire même chez des peuples voisins.

Les habitants, au nombre de trois mille environ, peuvent donc être considérés comme une sorte de bohème, les cafetiers surtout, bohème sédentaire s’étant donné comme mission d’abreuver et de nourrir une fois par semaine les ruraux du plateau fertile dont ils occupent le centre.

Ils sont l’effet et non point la cause. Seulement, et c’est ce qui les assimile à la mouche du coche, ils ont néanmoins la prétention excessive de diriger et de réglementer tout.

Ces gens auxquels la vie de café a donné une nervosité de méridional tempéré, traitent volontiers les campagnards, dans leurs colloques particuliers, de ganaches, de retardataires. C’est la commune ingratitude de l’obligé pour son bienfaiteur.

Les paysans du canton le plus voisin de la ville, celui de Beaumont-le-Roger, sont l’objet habituel de leurs railleries. — Ce sont « des réactionnaires, des bondieusards, des cléricafards », qui n’ont jamais pu élire un député républicain.

Les sans-culottes du Neubourg plaisantent à ce sujet leurs confrères de Beaumont, qui sont cependant parvenus à obtenir la majorité au conseil municipal et à élire un conseiller général républicain, ce qui leur a valu de vifs éloges atténués cependant par cette réflexion :

— Ah ! quand vous aurez un député des vôtres, vous serez tout à fait à la hauteur. Mais vous n’aurez jamais la gloire d’avoir possédé dans vos murs l’illustre homme d’Etat.

— Evidemment, répliqua le meunier Grévecœur, puisqu’il est mort, le cher homme.

— En réalité, ce sont tous des braves gens, aussi bien les monarchistes que les républicains, qui aiment à se donner un brin de distraction en dehors des occupations habituelles.

Tout homme éprouve, instinct primitif de défense, le besoin de batailler contre quelqu’un et les agglomérations celui de lutter contre quelque chose, pour une idée adoptée par leur groupe.

Car, dans les petites villes, il n’existe que deux clans —