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Les mots employés par ces belligérants n’ont plus leurs acceptions habituelles. Tout est grossi démesurément et les luttes prennent des proportions gigantesques… en apparence du moins. On se croirait parfois à Tarascon ou dans quelque ville autre, se chauffant au beau soleil du Midi.

Les républicains, cabaretiers ou épiciers pacifiques auxquels se joignent la médecine, la pharmacie, voire la carrosserie, sont appelés sans-culottes, assassins, communards par leurs adversaires auxquels ils ont appliqué les désignations de bondieusards, cafards, cléricafards, suppôts de sacristie, assassins du peuple, aristos, etc., etc.

On se figurerait être encore en pleine Révolution de quatre-vingt-neuf, si les bonnes grosses figures normandes enluminées par les pommes ne venaient atténuer les mots terrifiants qui sortent de leurs bouches à peine ombragées par une moustache blonde.

Les deux clans ont leurs journaux dans lesquels la bataille ardente s’accentue au moment des élections. À la politique, générale et locale, se mêlent les allusions d’ordre absolument privé et les faits divers viennent encore aggraver les attaques contre les personnalités.

Généralement, dans l’Eure, la victoire reste aux républicains, « sans-culottes, assassins, communards », à Louviers, aux Andelys et même à Evreux, tandis que les conservateurs triomphent à Bernay, contrée de bondieusards, disent les rouges du Neubourg.

Les combats sans trêve ni merci ne les empêchent pas de s’occuper au mieux de leurs affaires personnelles. S’il en était autrement, ils ne seraient pas de vrais Normands.

Il ne conviendrait point de formuler cette remarque pour les blâmer, car la chose primordiale, depuis que le monde existe, n’a-t-elle pas été la conservation de l’individu, règle que les civilisation ont toujours violée, mais qui les a renversées après une durée plus ou moins longue. On ne s’insurge pas impunément contre les lois naturelles.

Le Normand plus pratique, moins nerveux que le Parisien, beaucoup de muscles et peu de nerfs, ne songe guère aux révolutions. Il soigne simplement son moi sous tous les