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— Mais non, Estelle, c’est pas des menteries. Même que j’ai dit en l’abattant d’un coup de fusil, d’un seul coup de fusil : « C’est Estelle qui va être contente. » Dis donc, faudrait atteler le bourriquot vivement pour l’amener à la maison. Et puis, faudra que tu viennes. Il est lourd, le vieux rusé.

— Et les gosses ? ils vont rien gueuler.

— Ils dorment ben. Ils se réveilleront p’t’ête point ? Puis y a pas à s’amuser. Le père Billoin et Bizais, de la garderie, sont à la messe de minuit. S’agit de profiter de l’occasion.

— J’te crois, fit la femme qui s’habillait à la hâte.

Elle jeta sur ses épaules un large fichu de laine, reprit la chandelle de suif et tous deux sortirent de la maison pour aller tirer de son sommeil le bourriquot logé dans le cellier avec la pipe de cidre.

Et cinq minutes plus tard, côte à côte dans une carriole informe, qui ne comptait plus ses propriétaires, ils s’en allèrent dans la direction du val Monnier, bercés rudement par le trot sec de l’âne.

Giraud, un bras autour de la taille difforme de la petite infirme qu’il serrait amoureusement, lui murmurait à l’oreille :

— Eh bien ! es-tu contente, ma pauvre Estelle ?

— Mais finis donc, Giraud, s’écria la bossue, fière, heureuse de l’amour qu’elle inspirait à cet homme primitif de cerveau et colossal de structure. C’est pas le moment de songer aux bêtises. Combien que le père Ragneux, de Bernay, nous l’achètera, le vieux rusé ? Combien crois-tu, mon homme ?

— P’t’ête ben soixante francs, plus trente francs pour la tête. Tu sais, un dix-cors, ça plaît aux bourgeois pour leurs salles à manger.

— Ah ! bon sang du Christ ! nous v’là tirés du pétrin pour deux mois. Les gosses ont besoin de sabots et de bas. Mais j’saurai ben apitoyer la marquise sur mes petits. C’est son habitude à c’te dame de donner après Noël. Seulement j’ai pas été à la messe de minuit. C’est de ta faute, Giraud. Tu m’as fait coucher. Et puis j’ai pas eu le courage de me