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Alors il se mit à parler très bas, exposant son projet aux camarades. Tous hochèrent la tête. Lanfuiné seul protesta :

— C’est ben dandilleux.

— Puisque je veux le faire marronner. On n’a rien sans peine.

— Prends garde, gâs, ajouta Giraud père.

Pourtant l’idée devait être drôle, car Tâcheux s’écria :

— Fameux, tout de même, pour dénicher c’mauvais coucheux de Billoin.

Alors ils se mirent à l’ouvrage. Les Giraud attaquèrent à coups de hache le tronc géant d’un hêtre magnifique, dont la mort avait été décidée par le régisseur chargé de l’exploitation de la forêt. Ils geignaient en bûchant et les copeaux volaient dans toutes les directions.

Langlois et Lanfuiné abattaient le taillis en coupant les baliveaux proprement, au ras des souches.

Mais déjà on percevait le bruit confus d’une troupe de chevaux dont les sabots résonnaient sur la route durcie par la gelée et le roulement sourd de plusieurs voitures.

Les bûcherons cessèrent de travailler, les yeux tournés dans la direction de Beaumont-le-Roger.

— C’est la chasse, dit Lanfuiné.

— Bougre d’âne ! s’écria Giraud père, j’avons assez vu de fois c’te mascarade-là. Travaillons, les gâs. J’connaissons mieux qu’eux le gibier, pas vrai. Et la différence est qu’ils ont enfilé pour chasser des livrées ou des habits rouges. Pas besoin de ces défroques, nous.

— Tout de même c’est joli, ajouta Langlois. Et puis ils n’ont peur ni des gardes, ni des gendarmes.

— Alors, ous que serait le plaisir de braconner, murmura Tâcheux ? Malgré vos dires, père Giraud, y a pourtant de gentilles amazones avec des tailles grosses comme le manche de votre hache.

— On dirait, grommela ce dernier, que leurs pères ont épargné la marchandise pour les faire.

— Toujours blagueux le papa Giraud, conclut Lanfuiné en se remettant à la besogne.