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Lorsque la conscription le saisit, le président du conseil de révision s’écria, souvenir de ses voyages aux colonies sans doute :

— Il a une taille de cocotier.

Puis il ajouta :

— Bon pour les cuirassiers.

Pendant qu’il accomplit son temps de service, Giraud se trouva moins déplacé, mais il était encore le plus grand de tous. Ses collègues lui donnèrent le surnom de Tambour-Major. Les femmes de mœurs faciles, qui logent autour des quartiers, ne lui connaissaient pas d’autre nom.

Aussi, quand Estelle s’éprit de lui précisément à cause de sa force et de sa haute taille, fut-il extrêmement surpris et il se crut fermement atteint d’une infirmité inverse, mais plus grave que celle de sa femme. Tel fut le résultat merveilleux obtenu par la civilisation.

On eut dit que cet accouplement de bossue et géant était une boutade de la nature en même temps qu’un défi lancé à la socialisation à outrance.

— Ah ! vous n’avez pas voulu, mesdemoiselles, du fort, descendant de ceux qu’aimaient vos aïeules, ah ! vous vous êtes moquées de lui, eh bien ! ce sera une bossue qui l’aura. Et vous pensez qu’il créera des enfants au dos accidenté qui deviendront les jouets de vos marmots comme les parents furent les vôtres, détrompez-vous ; la bosse unie à la force engendrera des bébés aux dos droits, aux muscles solides. — Cette exception fera éclater quelques cerveaux de savants modernes qui veulent tout expliquer matériellement. — J’avais donné à ce robuste, comme jadis à tous ses pareils, la bonté qui lui a interdit toute défense contre vos vilenies. Il lui fallait une bossue, au cerveau méchant, une naïve, une boiteuse, produit extrême de vos monstrueuses unions, pour lutter avantageusement. D’ailleurs n’avez-vous pas dit, ridicules humains, que les extrêmes se touchent.

Estelle avait du reste des qualités qui compensaient ses défauts physiques et moraux. Le fermier Beauvoisin les avait appréciées pendant et même avant qu’il l’eût adjointe à son personnel et son départ le chagrina beaucoup.

Ses aptitudes heureuses étaient l’économie et l’intelli-