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étaient condamnés à disparaître. La force individuelle à l’état de nature primait le droit absolument.

De nos jours c’est bien la force encore qui reste maîtresse, mais ce n’est plus l’individuelle. Elle est devenue celle de la collectivité. Or, cinquante nains ou cent même, s’il le faut, peuvent bien terrasser un géant.

Cette acception moderne est contenue toute dans l’aphorisme qu’admirent les sociétés actuelles :

— L’union fait la force.

Heureusement que l’union n’est jamais parfaite, qu’elle est même très difficile à réaliser, ce qui permet à l’individu de conserver un peu de liberté.

Dès lors on conçoit que les pygmées aient eu raison des colosses. Ces bons pygmées laissèrent à ces derniers le soin de défendre le territoire pendant les guerres ; en temps de paix, ils leur confiaient généralement les besognes périlleuses, tandis qu’ils se chauffaient les pieds dans des bureaux, se retranchant derrière la faiblesse de leur constitution.

Ce furent eux qui devinrent les plus riches et par conséquent eurent les plus belles femmes, lesquelles donnèrent naissance à des demi-avortons, puis à des avortons complets.

La campagne bientôt imita les villes. Les forts n’osèrent plus donner une taloche aux faibles protégés par les sabres de la gendarmerie.

Enfin la civilisation établit définitivement le triomphe de la quantité sur la qualité.

Aussi, lorsqu’un robuste, réminiscence des temps passés, fait une apparition inattendue sur notre vieux monde civilisé, provoque-t-il un étonnement général. Les quolibets des avortons pleuvent sur le pauvre diable qui finit par se croire une monstruosité, quand c’est lui au contraire le vrai type de la race dégénérée.

Giraud avait éprouvé l’inconvénient d’être né trop tard.

À l’école, ses camarades l’appelaient : le saule pleureur, et le maître : grand idiot, grand benêt.

Quand il fut d’âge à travailler, la persécution ne cessa pas ; les plaisanteries devinrent autres, simplement.

Il n’y avait pas de lit assez long pour lui, ni de portes assez hautes, les plafonds étaient trop bas.