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marquis de Curvilliers, dont le château s’élevait fièrement, bien que d’architecture commune, au centre de Beaumont-le-Roger, une indemnité annuelle légitimée par les dégâts imputables aux lapins qu’il fusillait outrageusement deux fois par semaine.

Les cerfs et les chevreuils qui s’aventuraient sur ce terrain étaient reçus de la même façon. Seulement cette chasse n’était pas absolument légale ; car le Conseil général n’avait pas encore assimilé cette catégorie de gibier à la classe des animaux nuisibles, dont les lapins font depuis longtemps partie.

Mais le père Giraud les faisait passer près du marquis pour tels.

— On m’a conté, Giraud, que vous avez tué la semaine dernière un de mes chevreuils, disait M. de Curvilliers.

— C’est des menteries, affirmait le bonhomme. On veut me faire du tort près de M. le marquis.

— Enfin mon garde Billoin vous a entendu tirer dans la nuit de jeudi. Vous voyez, je précise.

— J’en conviens, monsieur le marquis, mais c’était pour effrayer ces maudits lapins qui saccagent tout. Si je ne tirais pas quelques coups de fusil deux ou trois fois par semaine, il ne me resterait rien dans mes champs et monsieur le marquis aurait gros à me payer.

Et M. de Curvilliers n’insistait pas, sachant par expérience que les indemnités auraient été doublées par les tribunaux, ce qui n’eût point diminué le braconnage. Il préférait transiger tacitement avec ses riverains.

Et le père Giraud continuait son petit commerce d’indemnités, de lapins, de cerfs, de biches et de chevreuils.

Si son fils était resté avec lui il en aurait fait son associé. Mais le gâs avait pris femme, s’était mis en famille, deux gosses étaient venus, et chacun tirait de son côté !

Au jeune, la forêt, au vieux, la lisière.

Cependant, ils s’entendaient quelquefois pour un bénéfice commun. Albert, ce cher Albert, comme disait le père Giraud, se chargeait de rabattre vers les champs paternels le gros gibier effrayé par les affûts successifs. Le bonhomme, dans une cabane primitive, qu’il avait construite et machi-