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matisant ne pouvait l’attraper, simulait une grande frayeur et se sauvait à toutes jambes.

Toutefois le vieillard, dont l’expérience des hommes et des choses était grande, ne bougeait pas de place. Au bout de dix minutes environ le petit gardeur d’oies revenait s’asseoir près du bouvier qui, un quart d’heure plus tard, lui allongeait sournoisement un coup de trique sur les épaules.

— Tiens, gâs, t’as rien perdu pour attendre.

Beauvoisin emmenait la bossue, afin de la distraire, à tous les marchés du Neubourg sous prétexte de lui faire vendre les poulets et le beurre.

Elle acceptait cette besogne, bien qu’elle excitât une curiosité qui l’agaçait, parce que cela lui permettait de relancer le président de la Libre-Pensée au sujet de ses enfants.

Mais Courtamblaize faisait la sourde oreille : il lui promettait tout ce qu’elle voulait et ne s’exécutait jamais.

— Tout de même, disait-elle, quand on est d’une société ça doit servir à quelque chose, au moins, à soutenir les veuves et les orphelins. Et votre fameux baptême, comment que vous l’appelez, civil j’crois ben, il devait, suivant vos dires, protéger les éfants dans le malheur. Jusqu’à présent les miens, qui sont pourtant du baptême civil, n’ont pas encore vu rien de rien. Alors c’est pour enjôler le monde que vous imprimez des prospectus et que vous prononcez des belles paroles. M. le curé, lui qu’est pourtant pas de la libre-pensée, m’a déjà donné cent sous, et le marquis, qu’en est point non plus, a envoyé cent francs.

— Il vous devait bien cela, répliquait rageusement Courtamblaize, après avoir fait assassiner votre mari.

Alors il repartait comme une machine musicale toute montée à l’avance et enfourchait son dada favori :

— Ah ! il vous a donné cent francs, ma pauvre femme, cet aristocrate riche à plus de deux millions. C’est comme si je vous donnais cent sous, et, tenez, les voilà, ajoutait-il en fouillant à regret dans la poche de son gilet.

Puis il continuait :

— Les voilà bien ces aristocrates ; ça fait tuer des citoyens par leurs gardes et ils se croient quittes parce qu’ils envoient quelques méchants louis à la veuve et aux orphelins.