on l’entendait monologuer, tempêter, fulminer, constamment au paroxysme de la colère :
— Quelle buse que ce Billoin, quelle buse ! Tonnerre de Brest ! peut-on avoir à son service de tels idiots. Quelle brute, corne de cerf ! Quelle brute ! Et dire qu’on lui avait ordonné de venir à la messe de minuit. On n’a pas idée d’un pareil entêtement et d’une telle désobéissance. Aussi je vais le flanquer à la porte dès son rétablissement. Ce serait déjà fait, si le médecin, il a toujours peur, ce diable de docteur, ne craignait pas les complications, suites inévitables, prétend-il, d’émotions vives.
Et la valetaille, affolée par cette fureur, filait épouvantée dans tous les corridors, disparaissant le plus qu’elle pouvait, afin de ne point se rencontrer avec le marquis.
Son valet de chambre donnait des signes appréciables d’aliénation mentale à la suite de conversations inénarrables avec son seigneur et maître :
— Tu es un imbécile, Jean.
— Mais oui, monsieur le marquis.
— Un imbécile comme cette buse de Billoin.
— Je ne veux pas contredire monsieur le marquis.
— Ah ! ça, triple idiot, as-tu bientôt fini de me servir des phrases toutes faites.
— Mais, monsieur le marquis…
— Il n’y a pas de monsieur le marquis. D’ailleurs je suis las d’avoir constamment sous les yeux des crétins aussi crétins que vous. Je veux faire maison nette et pour ce, vous flanquer tous à la porte, comme Billoin qui tue un braconnier pour ne pas aller à la messe de minuit.
— Mais, monsieur le marquis…
— Encore.
— Cependant, je ferai remarquer à M. le marquis que ce n’est pas parce qu’il a tué un braconnier qu’il n’a pas assisté à la messe de minuit, mais bien parce qu’il n’y a pas été qu’il l’a tué.
— Jocrisse. Voilà, le diable m’emporte, que tu fais de l’esprit, mon pauvre Jean.
— Je vois monsieur le marquis si contrarié que je fais ce que je peux pour le distraire.