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piquerais et t’irais faire le coup de feu un peu plus loin pour les narguer.

— C’est vrai p’pa.

— Eh ben ! tu vois qu’Estelle est une femme de sens. T’aurais grand tort de ne pas l’écouter. C’était point son idée que tu sortes ce soir. Rentre, gâs, j’irai tout seul.

— Non, ça serait trop bête. Après un mois de travail, c’est bien mon tour de m’amuser.

— Comme tu voudrais, puisque y a pas de danger à courir. Billoin est à la messe de minuit et ses collègues aussi ; car madame la marquise est à cheval là-dessus. Et puis M. le doyen est content et Mme la marquise aime beaucoup M. le doyen.

Ils atteignaient la lisière de la forêt. L’ombre des hêtres de la bordure s’étendait sur les prairies couvertes de givre dont l’éblouissante blancheur jetait de la lumière, lumière indécise des nuits d’hiver sans nuages au-dessus de laquelle scintillent les lueurs vives des étoiles et planent des clartés planétaires. Silence absolu ; les êtres vivants dormaient d’un sommeil augmenté par le froid.

Soudain, les cloches des églises jetèrent des notes joyeuses à travers l’espace. Celles de Beaumont-le-Roger, au son grave, étaient accompagnées par les humbles clochettes des communes environnantes : Barc et Grosley.

— Hé ! fieu, dit le père Giraud, ce serait le moment de mettre quelque chose dans les sabots de tes mioches.

Ils gravissaient la colline au pied de laquelle commençait la forêt.

— Les bêtes sont dans la coupure du vieux château à l’abri du vent du nord, murmura le vieux braconnier. Tu te mettras d’un côté et moi de l’autre. Un coup de fusil chacun, t’entends bien, gâs, et nous rentrons.

Ils se séparèrent. Les cloches avaient terminé leur carillon et le silence absolu régnait à nouveau sous la forêt.

Il y avait à peu près un quart d’heure que le fils Giraud, immobile derrière un buisson le fusil à l’épaule et le doigt sur la gâchette attendait le passage d’un troupeau de biches et de cerfs qui s’avançait lentement de son côté. Il