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— Comment ! tant mieux ?

— Ben sûr ! Ça devenait embêtant de faire ce qu’on voulait dans la forêt.

— J’te comprends pas, mon pauvre Giraud.

— C’est facile pourtant. C’était, comme qui dirait quelqu’un qu’aurait un permis de chasse.

Mais la bossue ne saisissait pas la pensée du braconnier. Ses grands yeux bleus enchâssés dans des orbites en souterrain jetaient des lueurs d’étonnement. Vraiment elle ne pouvait s’imaginer que le péril conjuré est une des joies les plus intenses de l’homme. Comment il lui était facile de choisir ses victimes parmi le bétail de la forêt, puisque les gardes fermaient les yeux et cela ne le satisfaisait pas, cela même le contrariait au point de désirer le rétablissement de Billoin.

Toutefois elle se rendit compte qu’en dehors de cet amour du danger, il y avait aussi la haine, la haine qu’il ressentait pour le garde, lequel la lui rendait bien, haine explicable et incompréhensible, explicable par suite de la lutte quotidienne de jadis, incompréhensible parce qu’elle était instinctive comme celle du monsieur qui dit d’un autre : « Sa tête me déplaît ».

Alors sa frayeur fut encore plus forte.

— Ecoute, Giraud, fit-elle ; je ne t’ai pas tout conté. Maître Beauvoisin m’a demandée aussi et j’ai réfléchi que nous serions mieux chez lui qu’ici. Je n’ai dit ni oui ni non pour avoir l’air de faire la difficile. Je suis lasse de cacher du gibier dans des fagots et sous mes jupes. Mais, si tu ne veux pas revenir à la ferme, eh ben ! moi j’irai.

— Tu me laisserais ici tout seul.

— Ben sûr que je te laisserais, parce que cela prouverait que tu n’as pas grande affection pour moi.

— Ah ben ! Ah ben ! murmurait le braconnier qu’est ce qui se serait attendu à ça. Mais tu dis c’te chose-là pour m’effrayer.

— Non, c’est la pure vérité.

— Voyons, Estelle, voyons.

— Y a pas de voyons.

Giraud, désespéré, se frottait la tête avec ses mains.