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fait ouvrir le panier qu’elle avait au bras, je l’ai menacée et humiliée ; naturellement elle n’avait dedans que de la viande et de l’épiceric. Car, en général, nous tombons toujours au mauvais moment. Et c’est pour se venger que Giraud a tué le cerf du marquis.

— Vous avez peut-être raison.

— Si j’ai raison… ! aussi je lui en veux.

— Ecoutez, Billoin, vous avez tort. À votre place j’éviterais même de le pincer. Vous avez trop d’animosité contre lui et lui contre vous. Ce n’est plus votre devoir que vous accomplirez, mais un acte de haine.

Dans ces conditions la vie des hommes ne tient qu’à un fil.

— Chacun suit sa destinée.

— Soit, mais je prétends que ça vous portera malheur.

— On ne meurt qu’une fois.

— Si vous en êtes là, je n’ai plus rien à dire.

Et Loriot s’éloigna.

Toutefois Billoin prit un repos bien mérité ; désormais il avait du temps devant lui. L’absence du marquis devait être d’assez longue durée. Il arriva même, comme à presque tous les surmenés, que ce repos lui fut fatal. Il tomba gravement malade et dut garder le lit. Le docteur du château diagnostiqua une fièvre muqueuse.

Cela se sut à Grosley et le fils Giraud en fut très aise :

— S’il pouvait seulement crever, l’animal.

Car on est féroce aux champs et c’est vraiment là que le cadavre d’un ennemi sent toujours bon. La puissance de dissimulation étant presque nulle, les haines prennent des dimensions fantastiques.

Les amitiés au contraire sont tièdes, tempérées qu’elles sont par l’intérêt que le paysan n’essaye pas non plus de dissimuler.

Aussi dit-il volontiers quand le père meurt tard :

— Il était ben assez vieux pour faire un mort.

Ce n’est point non plus du cynisme, ainsi que le prétendent les citadins, mais bien la simple constatation d’un fait et