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sur leurs branches et les ormeaux de la cour de ferme devenaient de plus en plus chauves chaque jour.

Et le gamin confiait au vieux :

— Pas vrai, père Mathieu, avez vous remarqué la petite bossue ?

— Ben sûr que je la vois tous les jours, comme toi, fieu.

— Oui, mais vous ne l’avez peut-être pas toisée comme moi ?

Le bonhomme se mit à sourire, un sourire glacial et bon de fin de vie. Les vieillards aiment les jeunes, quand les jeunes n’attendent rien d’eux, parce qu’ils sont l’image d’un temps regretté. Et le père Mathieu avait souvent surpris le gamin en train de taquiner Estelle.

N’étant pas encore assez âgé pour les filles à point, il s’exerçait sur l’infirme aux préludes de l’amour qu’il compléterait plus tard avec d’autres.

Or cela réjouissait l’ancêtre qui murmurait avec un soupir d’envie :

— Comme ça pousse, la jeunesse.

Mais il ajoutait aussi très mélancoliquement :

— Oui, mais ça passe trop vite.

Et le gamin continua :

— Pas vrai, père Mathieu, qu’il lui sort encore une autre bosse.

— T’es fou, morveux.

— Pas si fou que j’en ai l’air.

— Le fait est que t’es tout le portrait d’un « étoumiau », mais les étourniaux ne sont pas fous, à preuve qu’ils distinguent bien le chasseur d’un pauvre inoffensif comme moi. Pourtant, quant à ce qui est d’une nouvelle bosse, t’as dû voir double.

— V’n’avez pas remarqué les yeux que se font à table la petite bossue et Giraud ?

— Pour ça non.

— Eh bien ! il paraît que c’est vrai.

— Voyons, mais qui qu’est vrai, fieu ?

— Joseph les a surpris comme ils descendaient du grenier au-dessus du four.