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dernier, lui demanda sans préambule ce qu’il pensait, au fond, de l’affaire de Riel.

Cette question assez inattendue surprit le P. Léonard, et il témoigna le désir d’en connaître les motifs :

— Mon Dieu ! répondit Dussereaux, je vous avoue que, depuis que je suis au Canada, j’ai entendu des gens de notre race émettre sur cette affaire des opinions si diverses que je serais curieux de connaître la vôtre.

— Tout dépend du point de vue auquel on se place, répliqua le Père, bien qu’un recul de deux années et l’apaisement qui s’est fait autour de ces événements nous permette de les juger dans leur ensemble avec plus de liberté d’esprit. Si je l’envisage au point de vue de la colonisation, la révolte des Métis fut une aventure déplorable, car elle a arrêté l’essor du progrès dans toute cette contrée qui est à peine remise de la secousse ; politiquement parlant, car elle a failli brouiller deux races qui ont intérêt à collaborer…

— Je vous arrête ! s’écria Henry de Vallonges avec feu. Si les deux races ont senti se réveiller une vieille inimitié, en quoi est-ce la faute des Métis ? N’est-ce pas l’élément anglais qui, en poussant à bout ces malheureux, en les obligeant à se révolter et en réprimant ensuite durement l’insurrection, a exaspéré au Canada le sentiment français ?

— C’est possible, Monsieur le vicomte ; mais, pour en revenir à la question que m’a posée votre ami, je n’en maintiens pas moins que, dans l’en-