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deux revenants

qui ne fit que confirmer dans l’esprit de chacun les graves soupçons qui pesaient sur l’Indien.

Lacroix, cependant, s’était enquis près de Rosalie des nouvelles du blessé. Il n’était ni mieux ni pire, avec des alternatives de délire et de calme, mais, malgré la robuste constitution du Métis, étant donné la gravité de la blessure, il n’y avait guère d’espoir :

— V’là pourtant une pauv’fille qui va rester seule au monde, se disait l’ancien chef des éclaireurs en remarquant les paupières rougies, la pâleur, l’air souffrant de Rosalie.

Et cette pensée l’attrista davantage lorsqu’il se prit à songer à l’homme qui eût été si heureux d’en faire sa compagne en cette vie, à l’infortuné Pierre La Ronde, qui, maintenant, sans doute, dormait son dernier somme avec tant d’autres braves au fond de la Saskatchewan… Il restait bien Jean… Mais Jean ne paraissait guère prendre garde à la jeune fille… Est-ce qu’on savait cependant ?

Tandis que le brave Métis se livrait à ces réflexions sur le compte de Rosalie, celle-ci, par une réciprocité dont il ne se doutait guère, songeait également à lui. Elle avait fort bien remarqué le coup d’œil inquisiteur dont Lacroix avait enveloppé Jean, lorsqu’un instant auparavant, dans le récit de son aventure, il avait parlé avec, au reste, la même discrétion que devant Baptiste — de son expédition nocturne à Clark’s Crossing, au camp canadien… Ce coup d’œil l’intrigua… Depuis qu’elle connaissait l’opinion de son père sur le compte de Jean La Ronde, l’idée de le convaincre,