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les arpents de neige

Et La Ronde ne put d’abord articuler une parole, tant il lui semblait invraisemblable, fantastique, de voir planté là, devant lui, en chair et en os, l’ancien chef des éclaireurs de Batoche : Joseph Lacroix. Car c’était bien Joseph Lacroix, avec son honnête figure de brave trappeur tannée, recuite par les intempéries, très amaigrie, toutefois, et dépossédée de cette forte barbe noire qui en faisait jadis l’ornement :

— Ça doit te sembler drôle, hein ! continua-t-il en souriant, de me revouère encore après tant de jours ?… On m’avait fait mort, je parie ?…

— Foi d’homme ! s’exclama le père de Jean qui retrouvait enfin la voix. Foi d’homme ! Je crois ben que j’ai jamais été autant ébaubi de ma vie… En v’là d’une rencontre ! Mais, d’où sors-tu ? Qué que tu manigances par icite ?

— N’y a que quatre jours que je suis su’ la réserve, et, depuis ce temps-là, je simule le sauvage… C’est pour ça que j’ai fauché ma barbe… Y a des éclaireurs de Middleton qui font des « randonnées » par icite une fois le temps… Tu penses que j’ai crainte qu’y me reconnaissent et qu’y me fassent retourner d’où je viens…

— Comment ça, d’où tu viens ? T’étais donc prisonnier des Anglouais ?

— C’est la vérité vraie !… J’ai été pendant près de vingt jours en mêle « eusses »… Faut dire que là-dessus y a six jours, pour le « moinsse, » où je n’en ai pas eu doutance… car j’étais pas ben loin de virer de bord pour l’autre monde.

— Pas possible !