Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/298

Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
à la ferme cadotte

comme ça. D’autres fois, y se tient tranquille…

Tout en causant, elle versait dans un petit flacon une liqueur brune.

— Du vulnéraire au pauv’Trim, ajouta-t-elle. Quel dommage que çui-là ne soye plus « icite » pour soigner nos blessés… En v’là un qui s’y entendait !

Elle rentra dans la chambre du mourant en tirant la porte sur elle.

Athanase Guérin, les yeux brillants dans les orbites creusées par la souffrance, la peau sèche et jaune, était étendu, à demi vêtu, sur une paillasse.

Il délirait :

— Fusillez-les ! criait-il… Fusillez les traîtres !… Parez les rifles ! V’là les Anglouais, les v’là !… Ah ! le Judas ! c’est lui ! c’est lui ! Il a livré Batoche ! le Judas !

Rosalie tressaillit en entendant ces paroles et sentit son cœur se serrer.

Involontairement, elle jeta un regard circulaire autour d’elle dans la pièce : mais les filles de Baptiste étaient absentes pour le moment ; elle était bien seule. Une immense tristesse s’empara de la jeune Métisse. Elle savait si bien quel était l’homme à qui le blessé allusionnait dans son délire. Elle se souvenait avec malaise du regard inquisiteur et mécontent que, l’autre jour, à Batoche, il avait laissé tomber sur elle en la voyant au chevet de Jean La Ronde. Mais elle se souvenait avec douleur de ce qu’il lui avait dit peu après, pendant un nouvel instant de trêve, où il avait quitté les tranchées pour le village. Il l’avait prise à part, et,