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les arpents de neige

— Écoute, répliqua Pierre d’une voix basse et troublée, je suis venu « icite » en me disant que j’avais beaucoup à racheter…

Il s’arrêta une seconde et poursuivit, la gorge serrée :

— Oui… j’ai eu des torts, et plus que des torts, rapport à toué… faut que j’te le dise, cadet… j’ai pas pu te le dire encore… Mais j’en ai le courage à c’te heure… Écoute : je t’ai soupçonné, accusé d’avouère trahi… C’est pas tout. Une fois, dans la tranchée… à la coulée de Tourond… tu sais… j’ai tiré… je t’ai blessé… Ah ! je peux pas penser à ça sans qu’y me passe une « souleur » par tout le corps… Faut me pardonner, frère !

L’émotion ressentie par Jean à cette révélation inattendue se trahit par le tremblement de sa voix lorsqu’après une demi-minute de silence, il répondit :

— J’ai rien à te pardonner, Pierre…, rien. Tout ça, c’est de ma faute à moué, et si je suis « icite », c’est pour la payer, la racheter aussi… J’étais imprudent, fou… tu sais ben… Mais, va, c’est pas la peine de te donner encore du « trouble » pour ça… Faut plus y songer… c’est fini : on ne doit plus penser à c’te heure qu’au drapeau…

— C’est vrai, frère, le drapeau de Louis Riel !

— On montera dans le clocher, Pierre. On le reprendra et on le rapportera à Riel… Y en aura toujours un des deux qui réussira, pas vrai ? Allons ! on est « parés » ?

— On est parés ! Et maintenant, frère, à la vie, à la mort !