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les arpents de neige

mettaient de ménager leurs forces et de se dérober suffisamment au tir de l’artillerie qui, dans la matinée, leur avait été si funeste.

Seul peut-être, dans leur parti, Henry de Vallonges n’appréciait que médiocrement cette façon de se battre. Bouillant, imbu des traditions françaises, il ne rendait que médiocrement justice à cette habile tactique indienne, la seule pourtant susceptible de balancer, devant un ennemi supérieur, l’infériorité numérique et celle de l’armement. Il s’énervait et eût désiré qu’on chargeât une bonne fois l’ennemi. Les trompettes du 12e hussards, le régiment où il avait accompli son année de volontariat, lui manquaient également. Combien il eût préféré leur fanfare aux appels rudes et gutturaux que se renvoyaient de temps à autre les éclaireurs indiens ! À deux pas de lui, le vieux François La Ronde chargeait et déchargeait son rifle avec une précision quasi automatique. Tout en agissant, il soliloquait ou bien adressait la parole à ses voisins sans que, toutefois, son œil mobile cessât de surveiller la lisière devant lui. À certain moment pourtant, il posa son arme à portée de sa main et, s’accotant à la tranchée, dit tranquillement :

— V’là le septième de ces Anglouais que je mets à terre… On a ben le droit de faire une pipe, à c’t’heure.

Il tira doucement une sorte de brûle-gueule de sa ceinture et se mit incontinent à le bourrer d’un gros tabac mêlé de « harouge », le narcotique favori des Métis et des Indiens.

— Si ça ne te fait rien, grand-père, dit à sa droite