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résolutions

devant lui, les yeux fixes comme un somnambule… Une idée l’obsédait, le harcelait maintenant, celle de l’innocence de Jean. Il ne cherchait pas à s’en défendre, sentant que cet effort eût été vain.

Les propos du chef Métis avaient, malgré tout, impressionné son esprit ; ceux de son frère venaient de le toucher au cœur. Il y a dans les paroles de tout homme sincère une vertu secrète à laquelle les âmes loyales ne demeurent guère insensibles. Les derniers mots si nets, si précis de son cadet, l’avaient pénétré : à cette soif, si ardemment criée, de dévouement, d’héroïsme pour le rachat d’une erreur, il reconnaissait l’homme de son sang, de sa race, le véritable Bois-Brûlé… Devant une grande bâtisse de bois, l’aîné des fils La Ronde s’arrêta. Inconsciemment, poussé par l’habitude, il avait gagné le quartier général.

Une des fenêtres de la maison principale était encore éclairée : celle de l’appartement où travaillait Louis Riel. Après un court instant d’hésitation, il pénétra dans un log-hut contigu réservé aux éclaireurs. C’était le lieu où, depuis qu’il avait remplacé Lacroix, il passait presque toutes ses nuits lorsqu’il se trouvait à Batoche. Quelques formes vagues de dormeurs étaient étendues çà et là, sur une couche élastique de branches de sapin. Il s’y allongea près d’eux. Mais le sommeil fut lent à venir, à cause du tumulte de pensées qui lui enfiévrait le cerveau, et ce fut vers le matin seulement qu’il put clore les yeux.

Un bruit de pas de chevaux les lui fit rouvrir… Il était seul dans le log-hut. Il faisait grand jour.