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les arpents de neige

d’agitation où il se trouvait, redoutant la présence de son cadet et même celle de sa mère et de ses sœurs, il contourna le corps du logis et, plein d’indécision, poussa la barrière de bois qui donnait accès au courtil.

Au milieu de cet enclos, les arbres fruitiers aux feuillages clairs semblaient tamiser avec les rayons de la lune toute la pureté de cette admirable soirée. Le terrain en pente descendait vers la rivière, dont on apercevait, entre les buissons, et comme par éclairs, l’eau pâle et lumineuse.

Pierre s’arrêta. Eût-il possédé l’âme d’un grand contemplatif qu’à cette heure, il fût resté indifférent à cette beauté de la nuit de printemps délicate et douce parfumée par le verger en fleurs. Une seule chose le frappait, captait ses sens : c’était un bruit à peu près continu dans le silence, le bourdonnement de deux voix emportées dans un dialogue animé.

Pierre s’avança et put constater que les causeurs occupaient la petite pièce de derrière, où Jean avait reçu le chef, et dont l’ouverture donnait de ce côté.

Il reconnut aussitôt le timbre un peu métallique et très net de son cadet. L’autre organe, plus grave, appartenait, à n’en pas douter, au Français :

— Ah ! je comprends maintenant ce que voulait dire Dumont, déclarait ce dernier. Oui, je le comprends : vous avez grand besoin de repos, en effet, mon pauvre Jean, après cette crise… ces terribles révélations…