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les arpents de neige

sous cette enveloppe, n’était de nature à le compromettre. Mais, en réfléchissant à sa conduite, il voyait clairement toute l’énormité de son imprudence. Certes, il aimait toujours autant miss Clamorgan. La fine silhouette blonde de la jeune Anglaise avait trop de fois hanté ses rêves et ses insomnies pour qu’il en pût douter. Pourtant, la souffrance physique l’assagissait, et, grâce aux circonstances qui le tenaient éloigné de la présence troublante et néfaste de l’enchanteresse, il s’était ressaisi… Comme il avait été fou ! Maintenant, quand il songeait à la balle de rifle canadien qui l’avait frappé, il ne doutait pas un instant que le Loucheux n’eût tenté de l’assassiner, sur un soupçon de trahison. Un soupçon de trahison ! Cela lui paraissait insupportable qu’un homme pût seulement effleurer d’un soupçon sa fidélité à la cause de Louis Riel.

C’est pourquoi, sous le soleil déjà chaud de cette belle matinée printanière, il s’abandonnait au charme tout physique du renouveau, tandis que son âme, repliée sur elle-même, inquiète et presque attaquée par le remords, se refusait à prendre part à la joie universelle.

Il rêvait ainsi depuis un temps inappréciable, lorsqu’un bruit lui fit tourner la tête. Son frère aîné s’avançait vers lui. Pierre le regardait en s’approchant, dans l’intention évidente de lui adresser la parole ; mais cette face sévère était d’une impassibilité que Jean sentait hostile. Sa sensibilité assez affinée l’avertissait de quelque chose de grave entre eux. Dès le début des hostilités avec le Dominion,