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les arpents de neige

Si certain qu’il fût de l’ignominie de son frère, cette constatation matérielle bouleversa Pierre au dernier point. La trahison devenait, à ses yeux, tellement évidente, tellement cynique même, que, dans une poussée de haine, il fut sur les traces de Jean. Il allait le rattraper, le sommer de lui livrer sa lettre… et l’on verrait alors !

Mais Jean s’était arrêté. Il échangea deux mots avec l’homme de surveillance et reprit sa route.

L’aîné survint un moment après :

— Mon frère cadet n’est donc pas de « quart icite », qu’il s’en va si promptement ? demanda-t-il au Métis avec les apparences du plus grand calme ; car, habitué, comme les Indiens, à se dominer, il avait su reprendre un masque impassible. La colère bouillonnait dans son cœur, la placidité était sur ses traits.

— Non, répondit l’homme, c’est « moué » qui suis de quart. Lui, il est venu seulement, à ce qu’il m’a dit, pour prendre sa pipe qu’il avait oubliée l’autre soir dans la bâtisse. Mais, dis donc, pourquoi nos « gensses » se remuent-ils de telle façon là bas ?… J’ai « doutance » de quéque chose.

En quatre mots, La Ronde le mit au courant des événements et s’enfuit.

Ainsi, à chaque minute, sur les pas de son frère, se levait la trahison ou le mensonge. Et ce Bois-Brûlé, qui le croyait venu là innocemment pour reprendre sa pipe oubliée ! Ah ! oui, ce qu’il y venait chercher, c’était de quoi trahir la cause de sa race, livrer les siens, le maudit !

Déjà, il n’était plus qu’à une vingtaine de pas