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une imprudence

Cette objection semblait si fondée que Jean garda le silence.

Il se souvenait de l’avoir lui-même formulée la veille au soir devant miss Elsie ; mais la jeune Anglaise avait dissipé toutes ses inquiétudes avec quelques paroles légères.

Comment cela s’était-il fait ? Il ne le comprenait plus en face de ce sauvage sur les lèvres de qui l’objection renaissait brutale, indiscutable… Sa liberté, sa vie même qu’il risquerait sciemment dans cette tentative, n’étaient que peu de chose à côté de ce qu’il mettait si délibérément, par ailleurs, à la merci des circonstances. Qu’un hasard fit découvrir qu’il avait quitté Batoche la nuit dans des circonstances mystérieuses pour gagner le camp ennemi, et c’étaient inévitablement de déshonorants soupçons, des interrogatoires, une enquête…

Pourtant, il avait engagé sa parole… Il resongea à miss Elsie, à ses propos, à ses sourires… et il se dit qu’il lui fallait aller là-bas, qu’il le lui fallait absolument. Et puis, il y avait tant de chances pour que personne n’éventât sa ruse !

Le Loucheux avait croisé ses bras sur sa poitrine dans l’attente d’une réponse. Comme elle ne venait pas assez vite à son gré, il questionna :

— Que dit mon frère ?

Le jeune Métis s’était ressaisi. Il était plus déterminé que jamais.

— Il faut que je parte, déclara-t-il sèchement. Je partirai.

Une fois de plus, le Peau-Rouge le fixa de ses prunelles bigles.