Page:Poincaré - Sciences et Humanités, 1911.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.

doit vivre, on conclura que la culture littéraire est nécessaire aux savants comme à tous les hommes. Seulement on croit généralement qu’ils en ont besoin pour devenir des hommes et non pour devenir des savants ; et c’est là qu’on se trompe.

On peut être un savant et même un grand savant sans aucun esprit de finesse, dira-t-on, et la preuve c’est que la plupart des hommes de science en sont absolument dépourvus. C’est là se contenter d’une vue superficielle ; si l’on rencontre tant de géomètres ou de naturalistes qui dans le commerce ordinaire de la vie ont une conduite parfois étonnante, c’est que distraits par leurs pensées des contingences qui les entourent, ils ne voient pas ce qui est autour d’eux. Mais s’ils ne voient pas, ce n’est point qu’ils n’aient pas de bons yeux, c’est qu’ils ne regardent pas. Cela n’empêche nullement qu’ils ne soient capables de déployer quelque finesse, quand il s’agit des seuls objets qui leur semblent intéressants.

L’esprit géométrique, en effet, nous permet de conclure d’après des prémisses complètes, certaines et bien assises ; mais on a besoin de l’esprit de finesse toutes les fois que l’on veut deviner