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affaires, pourrait dire pour quelle raison il est parti à telle heure, pourquoi il a passé par telle rue. Sur le toit, travaille un couvreur ; l’entrepreneur qui l’emploie pourra, dans une certaine mesure, prévoir ce qu’il va faire. Mais l’homme ne pense guère au couvreur, ni le couvreur à l’homme : ils semblent appartenir à deux mondes complètement étrangers l’un à l’autre. Et pourtant, le couvreur laisse tomber une tuile qui tue l’homme, et on n’hésitera pas à dire que c’est là un hasard.

Notre faiblesse ne nous permet pas d’embrasser l’univers tout entier, et nous oblige à le découper en tranches. Nous cherchons à le faire aussi peu artificiellement que possible, et néanmoins, il arrive, de temps en temps, que deux de ces tranches réagissent l’une sur l’autre. Les effets de cette action mutuelle nous paraissent alors dus au hasard.

Est-ce là une troisième manière de concevoir le hasard ? Pas toujours ; en effet, la plupart du temps, on est ramené à la première ou à la seconde. Toutes les fois que deux mondes, généralement étrangers l’un à l’autre, viennent ainsi à réagir l’un sur l’autre, les lois de cette réaction ne peuvent être que très complexes, et, d’autre part, il aurait suffi d’un très petit changement dans les conditions initiales de ces deux mondes pour que la réaction n’eût pas lieu. Qu’il aurait fallu peu de chose pour que l’homme passât une seconde plus tard, ou que le couvreur laissât tomber sa tuile une seconde plus tôt !