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le réinvente moi-même, à mesure que je le répète.

On conçoit que ce sentiment, cette intuition de l’ordre mathématique, qui nous fait deviner des harmonies et des relations cachées, ne puisse appartenir à tout le monde. Les uns ne posséderont ni ce sentiment délicat et difficile à définir, ni une force de mémoire et d’attention au-dessus de l’ordinaire, et alors ils seront absolument incapables de comprendre les Mathématiques un peu élevées ; c’est le plus grand nombre. D’autres n’auront ce sentiment qu’à un faible degré, mais ils seront doués d’une mémoire peu commune et d’une grande capacité d’attention. Ils apprendront par cœur les détails les uns après les autres ; ils pourront comprendre les Mathématiques et quelquefois les appliquer, mais ils seront hors d’état de créer. Les autres, enfin, posséderont à un plus ou moins haut degré l’intuition spéciale dont je viens de parler, et alors non seulement ils pourront comprendre les Mathématiques, quand même leur mémoire n’aurait rien d’extraordinaire, mais ils pourront devenir créateurs et chercher à inventer avec plus ou moins de succès, suivant que cette intuition est chez eux plus ou moins développée.

Qu’est-ce, en effet, que l’invention mathématique ? Elle ne consiste pas à faire de nouvelles combinaisons avec des êtres mathématiques déjà connus. Cela, n’importe qui pourrait le faire ; mais les combinaisons que l’on pourrait faire ainsi seraient en